Écrire a été libérateur, je dirais même salvateur. Je m’étonne encore aujourd’hui de tout ce que l’écriture continue de libérer en moi.
Le 6 Mai 2003 j’ai accouché de mon premier fils. A 5 mois et demi de grossesse, pendant mon voyage de noces sur une île hôtel des Maldives. J’ai passé 6 années à nier ce deuil.
J’ai trop vite compris qu’en parler mettait les autres mal à l’aise. Et puis je ne voulais pas être réduite à « celle qui avait perdu un bébé ».
Pourtant, c’est bien ce que j’étais et ce que je suis. C’est un fait, c’est inscrit dans mon histoire, dans mes cellules. J’ai pris conscience que je devais faire face à cette douleur quand je suis devenue totalement spectatrice de ma propre vie. J’avais eu 2 enfants vivants entre temps et pourtant je ne me sentais pas en vie. Ma respiration était entravée, mon esprit tournait toujours un peu au ralentit et mes joies étaient tièdes. Je n’y arrivais pas, j’y pensais en permanence.
J’ai donc accepté de consulter. Je me suis tournée vers une psychologue qui m’a proposé une thérapie brève avec la pratique de l’EMDR mais aussi de travaux personnels d’écriture. Je devais trouver les mots pour retrouver qui j’étais. Par exemple, je devais écrire les 10 évènements positifs les plus marquants de ma vie, et les 10 les plus tristes. Je devais écrire mon arbre généalogiques avec les dates clés des épreuves vécues par ma famille. Par l’écriture, je m’appliquais à rassembler les morceaux de moi qui avaient été éparpillés dans le choc du trauma. Peu à peu j’ai réinvesti ma vie en prenant soin de moi et de mon deuil.
Quelques années plus tard, je me suis levée un matin en me disant : « ça y est, je n’ai plus peur ». Je me suis sentie capable de faire ce dont j’avais très envie depuis toujours : écrire un livre. Et cela a été comme une évidence. Le premier livre ne pouvait être que sur ce que j’avais de plus intime et de plus essentiel à la compréhension de mon identité.
Mettre des mots sur les maux du deuil
Quand je pense à cette année d’écriture, j’ai de la nostalgie. Organiser ses idées, tenter de faire comprendre, mettre en perspective, chercher à créer de l’émotion. C’était une année d’une grande richesse. L’idée était que si ce livre pouvait aider une seule personne, mon défi était relevé. Avec le recul, je pense aussi qu’il y avait la peur d’oublier. Je n’étais plus à vif comme j’avais pu l’être pendant tant d’années. Il m’arrivait de ne pas penser à Gabriel pendant plusieurs jours. Aujourd’hui, j’ai aussi accepté ce changement, je ne ressens plus le besoin de souffrir pour être en lien avec lui, bien au contraire. Écrire m’a permis de comprendre que j’avais le pouvoir d’être sa maman autrement, en douceur, en lui écrivant, directement ou indirectement.
Pour faire connaître le livre, j’ai créé un blog sur lequel j’écris encore des billets sur le deuil périnatal. Ce qui me plait dans l’écriture d’articles, c’est tout le travail de réflexion qu’il y a en amont. Tenter de prendre du recul par rapport à mon vécu me permet de déculpabiliser : « j’ai mis 6 ans à m’en remettre, non parce que j’étais faible ou parce que je manquais de volonté mais pour un tas d’autres raisons ».
Et je pense que ce qui m’apporte le plus dans l’écriture c’est lorsque mes mots font écho et servent la communauté.
Quand je reçois des messages de remerciements, je ne peux pas cacher ressentir une immense joie d’avoir pu aider mon prochain. Tenter de tirer un apprentissage d’une épreuve de vie et la partager est le principe de « l’approche narrative collective ».
C’est le principe sur lequel se base le site « Nos météores » qui est la nouvelle ressource en ligne que j’ai créé.
L’idée est que l’écriture permet d’organiser sa pensée, donc de prendre de la distance par rapport à ses émotions parfois confuses. Elle fatigue la douleur. Offrir son écrit à la communauté c’est aussi accepter de participer à une nouvelle forme de rituel, c’est faire exister. Cela explique en partie en quoi il est si difficile de témoigner alors que l’on aimerait juste que la douleur s’efface sans passer par la phase d’acceptation et de transformation.
Accepter ce qui est, accepter ce qui a été changé. Déposer son histoire pour permettre aux autres de se sentir moins seuls dans leur ressentis. On sous-estime toujours l’influence que l’on a sur les autres. Vous n’imaginez pas le soulagement que vous pouvez provoquer en inscrivant noir sur blanc, ce par quoi vous êtes passés. La honte, la culpabilité, s’effacent lorsque l’on réalise à quel point ce que l’on a vécu est partagé.
Ce partage, je le fais exister également dans un groupe de parole mensuel que j’ai créé et que j’anime avec une psychologue au sein de mon village. Des parents se retrouvent, dans un lieu, un temps pendant lequel ils peuvent dire tout ce qu’ils ne s’autorisent pas à dire ailleurs, tout en étant dans un cadre sécurisé. Des liens se créent, une libération des émotions a lieu, on pleure, on rit, on est en vie. Il est donc possible de soulager son deuil ou le deuil de son prochain, il n’y a pas de fatalité. C’est pour cela que j’ai choisi de m’engager pleinement dans la création de nouvelles ressources et solutions pour accompagner le deuil en tant qu’entrepreneur social. Je propose notamment des formations en entreprise pour aider les managers et les RH à soutenir un salarié en deuil, des conférences et des cours sur de les thèmes du changement, du deuil, de la résilience…
Mon credo dans tout ce que j’entreprends aujourd’hui dans l’accompagnement du deuil c’est libérer la parole, par tous les moyens. L’écriture en est un, très puissant. Écrire c’est aussi un peu faire vivre ce lien invisible, c’est certainement inconsciemment ma manière à moi d’être encore sa maman.
Laetitia Lycke
> Retrouvez Laetitia sur Facebook et twitter ou encore découvrez son livre « L’instinct de vivre »
> Si vous aussi souhaitez tenter l’expérience de l’écriture sans savoir comment débuter, cet article peut vous aider : « Comment écrire durant le deuil ? »
Merci pour ce bel article sur l’écriture… je me pose encore la question, alors que mon entourage m’encourage car trouve mon histoire particulière… ainsi que ma façon de faire le Deuil de ma fille. Peut-être trouverais-je le courage…? Merci en tout cas pour votre aide. Sincèrement.
Merci pour cet article. L’écriture, j’aime ça aussi et c’est vrai que ça m’aide beaucoup suite au décès de mon bébé. Au départ, j’ai choisi d’écrire pour ne rien oublier mais j’écris aussi en espérant qu’un jour mes proches me liront. Je pense qu’ils ne peuvent pas comprendre tout ce qu’on ressent, tout ce qu’on vit et l’importance de reconnaître cet enfant qu’ils n’ont jamais rencontré physiquement. J’écris aussi dans des groupes de discussions pour partager mon vécu et espérer ainsi aider d’autres personnes qui vivent ce que j’ai vécu.