Qu’est-ce que le deuil ? Il s’agit là d’une question à laquelle il est difficile de répondre tant le processus de guérison lié à la perte d’un être cher se compose d’une multitude de couleurs.
« C’est un chemin », voilà comment le deuil est bien souvent décrit par une grande partie de ceux qui le vivent.
Le deuil : un long chemin de retour vers la vie
Cette métaphore est très communément utilisée par les accompagnants les plus expérimentés comme Isabelle Carmoin, psychologue du réseau Océane de soins palliatifs à domicile depuis plus de 20 ans. Dans cette courte vidéo, elle nous explique pourquoi l’allégorie du chemin fait souvent écho au vécu des personnes en deuil. Ses explications nous éclairent et nous rassurent sur les principales craintes que l’on peut ressentir quand on perd un proche.
Un chemin qui s’initie bien avant le décès
On peut penser que ce chemin de deuil s’enclenche lors du décès d’un proche, mais dans de nombreuses situations, il commence en fait bien plus tôt…
Bien souvent, la majeure partie des décès survient à la suite d’une maladie grave, d’un séjour à l’hôpital ou encore d’une vieillesse rendue difficile par de terribles bouleversements comme Alzheimer (aussi appelé le « deuil blanc »). Dans ces circonstances la perte se produit à la fin d’un long et éprouvant accompagnement de fin vie.
Beaucoup d’endeuillés parlent de cet accompagnement comme le « vrai début » de leur deuil.
En effet, l’annonce du diagnostic d’une maladie grave donne au malade en fin de vie et à ses proches l’impression de prendre place de force à bord d’une embarcation à la dérive qui s’éloigne trop tôt, trop vite, de la rive de la vie, et de s’engager ensemble… sur un chemin sans retour.
[box type= »info » align= » » class= » » width= » »] D’ailleurs, le modèle des « étapes du deuil » conçu en 1969 par Elisabeth Kübler-Ross, psychiatre en réseau de soins palliatifs, est en fait le résultat de ses observations sur le processus émotionnel chez les patients en fin de vie. Son travail avait à l’origine pour objectif l’étude du cheminement psychologique d’un malade en fin de vie confronté à sa propre fin. Ce modèle des « étapes du deuil » a été progressivement repris pour être adapté au vécu de l’entourage du malade après son décès, de manière à offrir des repères pour mieux traverser le deuil. [/box]
Au cours de cette « traversée forcée », nombreux sont les proches qui luttent jusqu’à épuisement total de leur énergie vitale. Ils rament et rament encore, de toutes leurs forces, à contre-courant, dans l’espoir de freiner la marche de l’embarcation vers l’inévitable.
Vivre pleinement chaque instant, offrir sa présence et/ou témoigner son soutien à un être cher, malade, est souvent le seul moyen que l’on trouve pour ajouter de la vie aux jours, quand l’espoir d’ajouter des jours à la vie n’est plus permis.
C’est pourquoi, l’accompagnement de fin de vie marque le véritable commencement du chemin de deuil, ce moment où les proches embarquent avec le malade dans une longue traversée, avec la sensation de perdre de vue, petit à petit, la rive de leur ancienne vie.
Ainsi, qu’elle soit anticipée ou pas, la perte d’un proche provoque toujours un choc violent : le chemin de retour vers la vie démarre alors quasi-systématiquement par une étape de chaos et de désorientation qui peut faire référence à la phase dite « de sidération » des étapes du deuil.
> Pour aller plus loin sur les phases du deuil, vous pouvez lire le dossier sur « les 5 étapes du deuil »
Le choc du décès et la sensation d’être perdu entre deux rives
Et puis, vient le choc du décès et la sensation d’être perdu entre deux rives.
Quand la maladie prend finalement le dessus et que survient le décès, durant les premiers mois, l’entourage du défunt peut se sentir comme perdu à la dérive entre deux rives, deux mondes. Ni vraiment vivant, ni vraiment mort.
Gabrielle Giraud, jeune étudiante en cinéma, illustre très bien cela dans son court métrage intitulé « Sans Vie ». Elle aborde le vécu de deuil chez une jeune femme et décrit avec sensibilité cette sensation un peu flottante d’être présente physiquement mais sans vraiment être entièrement là, comme bloquée dans un entre-monde :
J’ai envie de te rejoindre… je vivais comme une morte, mais je n’ai jamais pensé à me tuer.
Sans Vie
On retrouve de nombreux témoignages d’endeuillés qui partagent ce sentiment d’être « un survivant », d’avoir côtoyé la mort et d’être marqué à jamais par cette expérience, comme celui posté sur le forum d’entraide par une femme en deuil de sa mère :
J’avais le sentiment d’être extérieure au monde, loin perdu dans une contrée lointaine entre vie et mort.
Un retour forcé vers la vie
Enfin, survient le moment du retour forcé vers la vie.
Malgré l’épuisement, la tristesse et le choc, il faut ramer, encore ramer, toujours ramer, pour revenir avec en soi… une partie de l’être aimé.
Si ce voyage intérieur (parfois forcé par les proches ou les obligations d’un quotidien qui nous rappelle aux vivants) nous change à jamais, il ne s’agit pas pour autant d’un parcours d’oubli qui vise à nous éloigner de l’image du défunt, ni même de notre passé commun.
Bien au contraire, durant cette période, il est particulièrement important de faire vivre et d’invoquer les souvenirs. C’est ce que l’on peut appeler un travail de mémoire (ou d’intériorisation de la relation). Il permet d’avancer dans son deuil plus sereinement, car en faisant une place en soi où conserver un peu de l’héritage du défunt, on peut continuer de faire vivre le lien. Il devient ainsi possible au fil des années d’établir une nouvelle relation, voire même de développer un véritable dialogue intérieur apaisé avec le défunt.
Nous sommes jetés dans un océan de chagrin et nous tentons désespérément de regagner le rivage de notre ancienne vie. Peine perdue.
Vous pouvez visionner les échanges de la conférence « Phares dans la tempête du deuil » animée par Marie-Noël Damas, qui utilise d’une manière très personnelle la métaphore du chemin pour décrire le processus de deuil.
Des phares à l’horizon
Et puis, l’on voit des phares à l’horizon.
Face au deuil, on se sent très seul sur sa barque. Chaque deuil est unique et prend ses racines dans la nature du lien qui nous unit au défunt. Il en devient difficile de partager chaque aspect si singulier de son histoire intime. C’est pour cette raison que l’on se sent parfois si désespérément esseulé face au deuil.
Pourtant il arrive parfois d’entrevoir au loin une lumière frêle, diffuse, mais apaisante. Elle donne une direction.
Ces lumières d’espoir sont comme des phares construits aux bords des falaises, afin d’aider les marins perdus dans les mers profondes à se repérer durant les nuits les plus sombres.
Une main qui se tend et l’espoir renait.
Témoignage de deuil
Aussi, accompagner le deuil, c’est pour moi accompagner la vie, construire des phares au loin pour illuminer la rive de la vie à ceux qui traversent une tempête. C’est mon approche, également partagée par la plupart des accompagnants que j’ai eu la chance de rencontrer ces dernières années.
Même si l’on rame seul sur sa barque, il est possible de voir son chemin de deuil s’éclairer. Un chemin qui nous invite à revivre autrement…
>> Voici la liste des associations qui accompagnent le deuil près de chez vous.
Un voyage qui change à jamais…
Aussi étonnant que cela puisse paraître, le deuil est bien un chemin « de vie », durant lequel on est amené à faire une place en soi pour tisser un lien intérieur avec un proche parti trop tôt.
Bien sûr, cela ne se fait pas en un jour, ce chemin est long, fait de moments de creux et de tempêtes. Chacun le parcourt à son rythme, sans précipitation, un jour à la fois. Et même si le choc perturbe jusqu’à se laisser submerger par des vagues d’émotions, accepter le temps du deuil et le soutien des autres peut apporter l’espoir nécessaire pour vivre ce voyage qui nous transforme pour toujours.
Faire une pause, prendre un petit moment rien que pour vous est essentiel et je vous invite à le faire.
Un instant pour sortir la tête de l’eau et regarder à l’horizon.
Malgré le brouillard, malgré la confusion.
Je vous recommande d’essayer de poser le regard au loin, sur des lucioles aujourd’hui encore à peine visibles, qui pourraient devenir ces phares synonymes d’espoir sur votre chemin. Ils peuvent prendre différentes formes dont voici une liste ci-dessous. Je suis sûr que vous saurez en trouver une qui fait écho en vous :
- le soutien d’une association de bénévoles près de chez vous (dont voici la liste),
- un témoignage sur le forum d’entraide,
- un professionnel dans votre région,
- le groupe privé facebook
« Entrer dans son deuil pour s’en sortir » – Maison Monbourquette
À l’occasion d’une prochaine interview vidéo d’Isabelle Carmoin, nous aborderons la question des facteurs qui peuvent freiner ou empêcher le déclenchement d’un deuil. Pour être sûr de recevoir la vidéo vous pouvez vous abonner à la chaine Youtube
Je vous propose de terminer ci-dessous par un inspirant poème de William Blake intitulé « Comme un voilier ».
Si cet article vous à aidé à mettre des mots sur votre vécu, participez à sensibiliser et libérer la parole autour du deuil : partagez le avec vos proches ou sur les réseaux sociaux.
j’ai perdu mon mari il y a plus de 3 ans,
comme vous le dites si bien, on semble être là parmi les vivants sans être là
il me faut du temps beaucoup de temps pour m’en sortir,
je n ‘en vois pas la fin
des moments d’apaiisements, d’acceptation mais des grands moments de solitude , de retour sur moi, et de chagrin
je n’ai peut-être pas assez pu en parler, mon deuil est long
j’ai encore en moi de la souffrance et je rame pour avancer
ni l’envie de rencontrer d’autres personnes alors que l’on a tous besoin d’amour, d’échange,
l’amour et l’affection de mon mari me manquent terriblement,,
à Chevalier Martine
Je ne saurai mieux dire ce qui se passe en moi. Michel est « parti » il y a 2 ans et demi. A qui parler de cet immense vide ? La famille a repris le cours de sa vie et même si nous évoquons quelquefois son départ, son absence, je sens que parler de ma souffrance n’est plus à l’ordre du jour. Eux semblent apaisés. Depuis le temps…Mais pour moi c’est aujourd’hui ! Je suis toujours près de lui, à l’hôpital, près de son lit de mourant. Je vois son regard, je revis sans cesse, en boucle ses derniers instants. Il me manque tant ! Je ne le montre pas. A quoi bon si c’est pour entendre ces lieux communs : il faut laisser le temps au temps, le temps apaise la douleur mais j’ai 80 ans et du temps je n’en ai plus beaucoup. La solitude donne parfois le vertige. J’ai un besoin vital de sa présence. Je ne vis plus, je survis. Sans lui où est mon chemin ?
Je comprends ce que tu ressens, Nicole, pour avoir déjà perdu plusieurs êtres chers, dont 2 très proches, même si je n’ai que 21 ans.
Je ne parle plus de ma souffrance non plus, car comme tu dis, les gens n’ont que des phrases bateaux à la bouche « il faut laisser le temps au temps », « c’est la vie », « la vie continue » etc…
On a besoin de soutien, pas d’entendre ce genre de clichés, mais ils ne comprennent pas.
Tu as 80 ans, tu dis que tu n’as plus beaucoup de temps, tu peux essayer de voir ça d’une manière plus positive, dans le sens où au vu de ton âge, tu le rejoindras plus vite !
J’ai 21 ans, j’ai horreur qu’on me dise « tu as toute la vie devant toi », toute une vie de souffrance, d’absence et de manque, quelle horreur…
Bon courage
Vos mots sont tellement pertinents. Enrichi par les illustrations, les vidéos et le poème l’article nous donne une bonne dose de confiance en nous-mêmes.
Merci