« Une amie qui fait beaucoup de développement personnel m’a dit que je portais certainement le deuil de ma mère et que c’est la raison de cette déprime qui m’accompagne, alors que j’ai tout pour être heureuse, comme on dit !
Pourriez-vous aborder ce sujet ? »
Notre correspondante, que nous nommerons Lucie, raconte que sa mère a connu le deuil tôt dans sa vie. Orpheline de sa propre mère à 6 ans, elle a vécu avec son père qui ne s’est jamais remis de ce deuil. « C’était un homme bon, mais triste et distant. Il n’était pas affectueux, ne parlait jamais de son épouse décédée et avait fait comprendre à sa fille qu’il ne fallait pas aborder le sujet ! ».
C’est ainsi que Lucie décrit la situation de sa mère. Elle-même, nous raconte-t-elle, a toujours tenté de « consoler sa mère ». Elle est devenue un boute-en-train pour tenter de faire rire autour d’elle, apporter de la gaité mais elle dit être plutôt triste au fond d’elle-même, lorsqu’elle est seule.
L’histoire de Lucie n’est pas rare, de nombreuses personnes ont « à porter » un deuil qui n’était pas le leur. Depuis tout petit, chaque enfant est l’objet de projection de la part de ses parents, de sa famille. Il apprend à reproduire les comportements, les attitudes de ceux qui l’entourent. Une bonne partie de tout cela se passe au niveau inconscient.
En ce qui concerne les pertes et le deuil, les proches, la famille sont ceux qui enseignent comment on fait face, comment on peut traverser l’épreuve du deuil, comment on peut utiliser cette crise de la vie, pour croître et se développer.
Malheureusement, certaines familles n’offrent pas cet « enseignement » car eux-mêmes sont restés englués dans leur propre deuil. Alors, leurs enfants, par loyauté inconsciente, prennent sur eux le fardeau de la tristesse chronique de leurs proches et le ressentent comme très lourd quand eux-mêmes plus tard ont à se confronter à des pertes ou des deuils.
La psychologue et pionnière en psycho généalogie, Anne Ancelin-Schützenberger souligne qu’un grand nombre d’enfants sont malades du deuil de leurs parents, qui n’ont pas pu montrer leurs émotions, ni en parler, ni les partager, ni en pleurer et qu’ils ont tout enduré en silence. Elle écrit : « cette souffrance est telle un cadavre dans le placard, voire un fantôme qui crie vengeance ».
Les non-dits, les deuils non faits suintent par tous les pores pour plusieurs générations, jusqu’à ce que quelqu’un les mettent en mots.
Pour Ancelin, chacun devrait prendre la responsabilité de ses deuils, s’assurer qu’il les vit complètement. Il s’agit parfois de demander de l’aide pour faire son propre ménage émotionnel évitant ainsi de transmettre ses deuils et ses non-dits à ses enfants et petits-enfants.
Comment peut-on savoir qu’on porte un deuil qui ne nous appartient pas ?
Voici quelques signes :
- Lorsqu’on est tristes souvent, sans cause apparente
- Lorsqu’une maladie débute à une date en liaison avec un décès dans la famille
- Lorsqu’on porte le prénom d’un enfant décédé
- Lorsque les ascendants ont vécu des deuils auxquels ils semblent n’avoir donné aucune importance
- Lorsqu’on suspecte ou qu’on connaît l’existence d’un secret de famille
- En regardant les albums de photos de famille et en se laissant ressentir ce qui vient à propos des gens qui figurent sur les photos
- Lorsqu’on a pris conscience de deuils ressentis qui ne nous appartiennent pas
- En interrogeant ses proches
Comment sortir de cette situation et « déposer les valises qui ne nous appartiennent pas » ?
On peut se faire aider par un/une psychothérapeute ou un praticien, en relation d’aide formé à la problématique du deuil.
On peut aussi faire ce travail soi-même :
Il s’agit de se donner une plage de temps, de décider de rendre la tristesse du deuil, symboliquement, à la personne à qui elle appartient. On peut faire cela en écrivant une lettre à cette personne, lettre qu’on brûlera ensuite. On peut même enterrer les cendres de cette lettre et planter une touffe de fleurs au-dessus ou les enterrer sur la tombe d’une personne décédée qui a transmis cette tristesse.
La lettre peut prendre différentes formes, voici par exemple la lettre qu’une jeune femme avait écrite à sa mère :
« Chère Maman,
J’ai réalisé que tu as du beaucoup souffrir dans ton enfance. Ton père est mort quand tu avais 5 ans et personne ne t’a permis de parler de lui et de vivre ce deuil.
Toute ta vie tu as été triste et moi, par loyauté envers toi, j’ai absorbé cette tristesse qui n’était pas la mienne, je ne me suis pas donné le droit d’être heureuse puisque tu ne l’étais pas.
Aujourd’hui je décide de te rendre cette tristesse. Elle n’est pas à moi et je n’ai pas à la porter pour toi.
Je choisis de me désencombrer de cette tristesse dès aujourd’hui.
Ta fille qui t’aime ».
On peut aussi faire le rituel de brûler la lettre en présence d’une personne qui le comprend et en qui on a pleine confiance.
La plupart des gens qui font ce type de rituel en éprouve un soulagement durable.
Bien sûr qu’il existe aussi d’autres moyens comme : l’hypnose, la visualisation, certaines formes de méditation.
Lorsque le parent qui a souffert d’un deuil terrible dans son enfance, qui n’a pas pu en parler vit encore, on peut aussi lui proposer de parler de ce qu’il a vécu, d’accomplir certains rituels.
Je me souviens d’une collègue qui avait vécu avec un père toujours triste et déprimé parce que son propre père s’était suicidé et avait demandé qu’on le crématise sans cérémonie et qu’on ne parle plus jamais de lui.
Après tout un travail avec ce père âgé, il a accepté, presque 65 ans plus tard de faire faire un service religieux pour ce père suicidé.
Toute la famille avait été d’accord d’y assister. Pour cet homme âgé. Ce fût un événement extraordinaire, il avait pu parler de ce départ si traumatisant et rendre hommage avec d’autres à ce père disparu.
Sa vie connut une grande transformation après ce rituel, une grande partie de sa tristesse et de sa culpabilité disparut.
Ma collègue, sa fille, ainsi que les petits enfants vécurent aussi plus sereinement à partir de ce moment-là.
Il n’est jamais trop tard pour trouver un moyen de déposer les fardeaux qui ne nous appartiennent pas.
A vous, chère correspondante, je souhaite de trouver un moyen de vivre plus sereinement et peut-être même de connaître la joie.
A chacun de vous, amis lecteurs, je souhaite une très belle semaine.
Extrait des conversations de deuil de Rosette Poletti pour Vivre son deuil Suisse : https://www.vivresondeuil-suisse.ch/
Pour aller plus loin
Anne Ancelin-Schützenberger, Aïe, mes aïeux, Ed. Desclée de Brouwer
Tulku Thondup, L’infini pouvoir de guérison de l’esprit, Le courrier du livre
Chantal Rialland, Cette famille qui vit en nous, Ed. Marabout