Le deuil périnatal touche environ une grossesse sur cinq. Et si chacun des deux parents est concerné par le deuil, ils ne le vivent pas forcément de la même manière. Hélène Gérin, autrice du livre Dans ces moments-là, a interrogé de nombreux couples ayant perdu leur bébé et elle nous partage aujourd’hui les enseignements qu’elle a tirés de ces rencontres, dans l’espoir que cela puisse vous servir si, vous aussi, vous êtes confronté·e au décès de votre bébé.
Il est parfois tentant de penser que sa ou son partenaire va réagir de la même manière au fil du deuil. Après tout, vous êtes tous les deux parents du même bébé décédé. Et pourtant certains jours, il y a comme un décalage, voire un gouffre entre vous. Vos réactions sont différentes, vos timings aussi. L’un·e pleure beaucoup, l’autre pas, ou pas au même moment. L’un·e a envie de sortir, de se divertir, de voir du monde. L’autre pas du tout. Vous ne vous comprenez peut-être pas, vous vous irritez même parfois.
En réalité, ceci est tout à fait normal et il y a plusieurs paramètres qui expliquent cette situation, l’important est d’en prendre conscience pour pouvoir en parler entre vous, et ne pas vous monter l’un contre l’autre. Et je vous proposerai aussi neuf idées pour préserver ce lien et nourrir le dialogue entre vous.
Un vécu de deuil différent
Même si les deux parents sont touchés par le décès, de leur bébé il n’est pas rare qu’ils aient vécu les évènements de manière différente. La maman a peut-être appris seule un diagnostic fatal au détour d’une échographie qui s’annonçait pourtant banale, alors que le papa n’y assistait pas.
À l’inverse, si un accouchement tourne au drame et si la maman reçoit une anesthésiée générale, elle n’a aucun souvenir conscient de ce qu’elle a traversé. Par contre son partenaire a pu vivre toute l’angoisse de la situation, à chaque seconde, et c’est bien souvent lui qui va devoir lui annoncer la douloureuse nouvelle quand elle se réveillera.
Et puis au niveau corporel, ce n’est pas le même vécu non plus. Alice, qui est en couple avec une autre femme, me disait qu’elles avaient toutes deux connu dans leur corps ce que représente le fait de perdre un bébé. « Émilie avait vécu quatre fausses couches avant moi donc elle pouvait se mettre à ma place », me disait-elle. « Et pourtant, pour ce bébé-ci que je venais de porter, la tristesse sortait de façon plus visible chez moi. Je pleurais beaucoup, au point qu’à un moment donné Émilie en a eu assez. Mais quand j’y repense, la même chose s’était passée quand c’était elle qui vivait les fausses couches dans son corps : moi, je pleurais moins à l’époque et ça m’énervait qu’elle pleure autant. Alors je ne sais pas si c’est dû aux hormones de grossesse, ou si on s’autorise plus à pleurer quand on est enceinte, mais c’est vrai qu’il peut y avoir un fameux décalage entre les deux parents. »
Il n’y a donc pas un mais plusieurs vécus possibles entre les parents, que ce soit par rapport aux évènements eux-mêmes, au corps ou aux émotions. Pas évident du coup d’être à deux sur la même longueur d’ondes.
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L’influence de notre héritage culturel
Il ne faut pas oublier non plus qu’un deuil se vit aussi dans un contexte culturel. Les deux parents n’ont pas forcément grandi avec les mêmes repères, notamment quand il s’agissait de faire face à la douleur. Combien de petits garçons n’ont pas grandi avec l’idée que « ça ne pleure pas, un homme » ? Si bien qu’aujourd’hui les émotions des deux parents empruntent parfois des canaux différents. Kim, qui a vécu trois fausses couches, me confiait : « Pour un homme, dans notre culture, ça revient encore à prendre un grand risque que de s’ouvrir et de laisser sortir ses émotions… »
Il arrive d’ailleurs souvent que, dans un couple endeuillé, le papa reproche à la maman d’être trop absorbée par ses émotions et qu’à l’inverse, la maman ne comprenne pas que le papa pleure si rarement. Cela peut paraître caricatural comme « répartition des rôles », mais le poids de notre héritage culturel est encore puissant à notre époque.
Pour vous aider à ce que la communication reste ou devienne fluide dans votre couple, j’aimerais vous proposer maintenant quelques pistes que vous pourrez tester par vous-même.
1. Écrire une lettre pour expliquer son vécu de deuil
Pour éviter de dériver chacun sur une île solitaire, il peut être utile de prendre un moment à deux pour raconter, chacun à votre tour, comment les choses se sont passées depuis votre perspective. Vous pourriez commencer par demander à votre partenaire : « Raconte-moi comment tu vis / tu as vécu les évènements de ton point de vue ? »
Mais tous les couples ne seront pas forcément à l’aise avec l’immédiateté du face-à-face. Dans ce cas-là, l’écriture peut devenir un excellent moyen de maintenir un dialogue de qualité, tout en contournant la gêne que certaines conversations peuvent provoquer.
Écrire permet de prendre son temps pour savoir exactement ce que l’on veut dire à l’autre, sans craindre de se faire interrompre, de perdre ses idées en cours de conversation ou de voir son propos déformé, ce qui peut arriver à l’oral quand il y a des tensions ou de la fatigue dans l’air. Cela permet aussi à l’autre de choisir le bon moment pour lire, sans se sentir obligé de répondre sur-le-champ. Cela donne une grande liberté à chacun des deux partenaires.
Certains parents m’ont dit aussi avoir un carnet de deuil, pour noter quasi quotidiennement des messages et maintenir le lien entre eux ; d’autres feront le point de temps en temps, tous les six mois par exemple. Ou juste une fois à un moment donné. Chacun trouvera sa méthode.
2. Passer du temps ensemble
Après le décès de leur bébé, certains parents décident de passer plus de temps ensemble. Que ce soit un voyage, une petite promenade tous les soirs ou un restaurant une fois par mois, toute idée est bonne pour créer des moments privilégiés et nourrir le couple.
Je me souviens par exemple de Laëtitia qui s’est dit, dès l’annonce d’IMG, qu’elle et son mari allaient avoir besoin de temps et de bienveillance l’un envers l’autre. Elle lui en a parlé, alors qu’elle était encore à l’hôpital, et lui a proposé de faire du yoga à deux. Cela faisait du sens pour lui aussi et dès le lendemain il revenait avec un magazine de yoga. Rapidement, ils se sont inscrits à un cours : « Parfois, je partais de la maison les larmes aux yeux, et je revenais du yoga tout apaisée. Cela nous ancrait dans l’instant présent, nous ressourçait et nous apaisait. » Ces cours étaient des moments privilégiés pour Laëtitia et son mari.
Vous trouverez peut-être, vous aussi, une activité qui vous fera du bien à deux. « Passer du temps ensemble et faire une activité à deux a consolidé notre couple comme du ciment », me disait Laetitia.
3. Prendre le pouls
Certains couples m’ont dit qu’ils s’offraient régulièrement des moments de pause. Dix minutes, une demi-heure ou une heure, peu importe. Chaque semaine, à date fixe pour certains, ou de temps en temps quand cela convenait pour d’autres. Avec à chaque fois l’idée de faire un état des lieux et de permettre à chacun de savoir où en est l’autre.
Cela m’a semblé d’autant plus pertinent que parfois, dans un deuil, on peut entendre des choses fortes de la bouche de son ou sa partenaire – par exemple le jour de l’enterrement « Faut pas qu’on se laisse aller, on doit continuer à avancer, hein ! » ou bien « J’ai l’impression que la vie n’a plus aucun sens » – et croire des mois après que c’est toujours d’actualité alors que les choses ont peut-être changé entre-temps. Or, rien n’est figé dans un deuil, ni dans un sens ni dans l’autre, et ces petits moments d’arrêt sur image permettent de mettre les choses à jour dans la relation.
4. Se faire accompagner
De nombreux parents sentent qu’ils ont besoin d’aide extérieure, tant le deuil périnatal est une épreuve intense qui secoue le couple. Certains téléphoneront à des associations de deuil périnatal comme Nos tout Petits, Agapa, Petite Émilie, Spama, Hespéranges,… D’autres auront envie rejoindre l’un de leurs groupes de paroles. Et d’autres encore contacteront un·e thérapeute spécalisé·e.
Dans tous les cas, se faire accompagner à deux est une démarche qui peut vraiment soutenir votre couple. C’est l’occasion de se dire, dans un territoire neutre et un cadre bienveillant, sans avoir peur de blesser ou d’encombrer l’autre.
Armelle se souvient s’être très vite rendu compte qu’elle et son mari auraient besoin d’aide : « Affronter ça tous seuls nous paraissait impossible. On savait que ça ne se ferait pas du jour au lendemain ni en claquant des doigts. Alors on s’est fait accompagner et dès la première séance, on a senti une bouffée d’oxygène, je m’en rappellerai toujours. »
Pour Alice, le déclic s’est fait quand elle a pris conscience qu’elle était prête à quitter sa compagne. C’est à ce moment-là qu’elles sont allées voir un thérapeute ensemble et cela les a beaucoup aidées : « On avait accumulé trop de douleur sans avoir le temps de la digérer, et quand les deux parents sont remplis d’émotions, cela devient très difficile d’accueillir celles de l’autre. Le piège alors est de se fermer l’un à l’autre. Mais rechercher des ressources extérieures, ensemble ou parfois séparément même, ce n’est pas idiot ! », me disait Alice. Dans leur cas, cela a permis à chacune de mieux comprendre l’autre, de revenir de ces séances moins chargées émotionnellement, et de se reconnecter à l’amour qui, en fait, les unissait toujours.
5. Nourrir une attitude de non-jugement
Certains maris se donnent à fond dans leur boulot après le décès de leur bébé, dans le sport ou auprès des copains. Et les femmes se sentent souvent impuissantes face à cela. Mais comme me le disait Christophe, un papa endeuillé, le mari souffre aussi : « Ça ne se voit peut-être pas, mais il souffre. Et s’il travaille beaucoup après le décès du bébé, c’est parfois sa manière à lui de s’en sortir. L’homme met peut-être un pansement pour ne pas souffrir, grâce au travail ou autre. Mais ce ne sont que des compensations, parce qu’au fond il a des difficultés à partager, à exprimer, ou à accueillir sa propre souffrance. Chacun fait comme il peut finalement. »
Le deuil périnatal peut exacerber la différence à l’intérieur du couple. L’un·e va vouloir sortir, alors que pour l’autre, ce sera inconcevable. L’un·e aura envie de relations sexuelles, pour l’autre ce sera peut être impossible. Les besoins sont différents et c’est important d’accepter que chacun réagit comme il peut, sans le juger. « Nous, ça nous aurait aidé à l’époque de savoir que c’était ok que l’autre souffre différemment et qu’il ait besoin de prendre en charge sa souffrance d’une autre manière », me confiait Christophe.
Si vous sentez que les jugements sont trop présents en ce moment et qu’ils perturbent votre couple, essayez d’avoir les mêmes conversations mais en parlant en « je », c’est-à-dire, comme le conseille la Communication NonViolente, en votre nom et seulement en votre nom. Tentez d’exposer vos besoins de sorte qu’ils ne parlent que de vous, sans critiquer l’autre car les reproches mènent rarement loin (le « tu tue »). Optez plutôt pour des formulations du type « J’ai besoin de légèreté en ce moment », ou bien « J’ai besoin de recueillement »…
Vous pourriez inviter votre partenaire à en faire de même, pour donner à chacun plus de chances d’être entendu·e et ainsi de cultiver la bienveillance et le non-jugement au sein du couple.
6. Impliquer le papa dans les décisions
Les mamans disent parfois se sentir seules face à toutes les informations qu’elles reçoivent de la part du corps médical, et face aux nombreuses décisions qu’elles doivent prendre parfois dans un temps très court.
Pour une interruption de grossesse par exemple, c’est souvent entre deux portes que la maman reçoit le médicament qui provoquera le début du travail : « Voilà le document, signez ici. Voici votre verre d’eau, le comprimé… allez-y ! » Or c’est un moment très important pour les parents, car c’est là que les choses vont concrètement s’enclencher. Et, si la signature de la maman suffit à elle seule d’un point de vue légal, il est aussi important d’impliquer le papa dans la discussion ainsi qu’au moment de la prise du médicament lui-même. Cela lui permettra de se sentir, lui aussi, père de ce bébé et la décision d’interrompre la grossesse sera d’autant mieux assumée qu’elle aura été prise à deux. Elle ne reposera plus uniquement sur la maman, ce qui peut participer au sentiment de culpabilité chez certaines, qui parfois se disent alors « c’est moi qui ai causé l’arrêt du cœur de mon bébé ».
Donner au papa la possibilité de s’impliquer, autant que la maman, dans les décisions à prendre permet à certains couples de trouver un juste équilibre face au deuil.
7. Parler avec d’autres hommes du deuil
Ce n’est pas forcément évident dans notre culture, pour un homme, de savoir comment exprimer sa vulnérabilité et ses émotions. Et pourtant, c’est tout autant indispensable pour un papa que pour une maman de pouvoir déposer ses émotions et de trouver des oreilles bienveillantes.
Rencontrer d’autres hommes qui ont déjà vécu un deuil périnatal et qui construit une forme de résilience peut constituer un moment charnière pour certains papas.
Il existe aussi de très belles vidéos qui abordent le deuil périnatal côté masculin. Je pense notamment à « Quand passe la tempête, le deuil des pères».
8. S’écouter l’un l’autre
Pour fluidifier la parole dans le couple endeuillé, j’ai développé une série de questions qui vous permettront de faire le point sur les dynamiques et les besoins de chacun face au deuil. Elles sont disponibles gratuitement sur www.danscesmomentsla.com.
Par exemple « Quelles sont les petites ou grandes choses que j’ai faites ou dites dernièrement, en lien avec le décès de notre enfant, qui t’ont fait du bien ? » Ou « Est-ce que tu trouves que je suis suffisamment présent·e à toi en ce moment ? » Ou encore « As-tu l’impression que je peux accueillir tes pleurs ? » versus « Est-ce que c’est ok pour toi quand je pleure ma tristesse ? »
Les questions proposées invitent à faire une pause, à nourrir un dialogue à la fois simple et authentique autour du deuil et à exprimer sa gratitude. Elles vous permettront aussi, le cas échéant, de vous rendre compte des éventuels mots ou gestes qui peuvent entraver le deuil ou blesser l’autre : « Est-ce qu’il y a des choses que j’ai faites ou dites et qui t’ont blessé(e), sans que je ne m’en rende compte ? Et y a-t-il quelque chose que je pourrais faire aujourd’hui pour que tu te sentes mieux par rapport à ça ? »
Les questions permettront aussi d’aborder des sujets parfois délicats après un deuil, comme la sexualité (voir point suivant) ou le désir d’un nouvel enfant, etc.
Certains parents s’en serviront tous les soirs, d’autres de temps en temps seulement quand l’envie se fera sentir. Vous pourrez choisir une des questions proposées, confortablement installés à deux dans votre canapé, ou bien chacun de votre côté quand cela vous arrange (dans le métro, en vous couchant le soir, etc.) pour en reparler plus tard ensemble.
9. Oser parle de la sexualité durant le deuil
Après une naissance classique, il y a souvent une pause au niveau de la sexualité. Dans le cas du deuil périnatal, cela peut être encore plus fort car le plaisir se vit dans la même zone que celle où a eu lieu la perte du bébé. Dans ce contexte, ce n’est pas toujours évident de retrouver une sexualité sereine : comment concevoir même que le plaisir soit possible ? C’est utile de se poser la question pour éviter des malentendus ou des gestes déplacés au sein du couple.
Certains parents commencent par prendre simplement un bain ensemble, sans avoir le désir de faire l’amour, mais juste pour voir ce que cela fait quand les corps reprennent contact. Parler « d’intimité », plutôt que de sexualité, peut aussi être d’un grand soulagement, car la maman a souvent besoin de se réapproprier cette partie de son corps et peut avoir besoin de prendre son temps avant d’envisager une sexualité active (tout comme le papa d’ailleurs).
À propos de l’autrice
Ancienne accompagnante à la naissance (doula), Hélène Gérin est partie à la rencontre de nombreux parents endeuillés, de leurs proches et des professionnels du deuil périnatal pour imaginer une autre manière d’être, les uns avec les autres, face au décès du tout-petit. Son livre intitulé Dans ces moments-là dépasse le cadre de la théorie ou d’une seule histoire personnelle. Il ne propose pas de solutions toutes faites mais plutôt une palette d’options pour soutenir les parents avec douceur et respect.