« Un jour, quand je serai grande, je trouverai mon prince charmant et nous aurons plusieurs enfants ! Malheureusement, plus tard, nous comprenons que ce n’est pas toujours aussi simple… »
Imaginez un couple qui essaie d’avoir des enfants. Les mois, parfois même les années, filent pour, en définitive, apprendre un matin que le test de grossesse est positif ! Dès ce moment, le rêve de devenir parents, de tenir dans ses bras son enfant, vient hanter ce couple. C’est le bonheur qui vient envahir la famille, les futurs grands-parents, collègues et amies, amis.
Imaginez quelques semaines plus tard ce même couple à l’urgence. La femme a des saignements, souffre de crampes abdominales douloureuses; elle se rend à la salle de toilette pour réaliser par la suite qu’elle est en train de perdre son bébé dans la salle d’attente de l’urgence. Comme son cas est tout, sauf prioritaire, elle doit attendre des heures encore avant de consulter un médecin. Pour le personnel et l’entourage, ce n’est qu’une fausse couche, un événement fréquent qui arrive dans 20 % des grossesses.
Pour ce couple, c’est la tragédie, un rêve qui tourne au cauchemar. La femme perd instantanément son statut de femme enceinte. Le père, quant à lui, se retrouve dans l’impuissance et se voit vivre cette épreuve sans pouvoir rien y faire, sinon en souffrir et, plus souvent qu’autrement, en silence. Ce couple quitte l’hôpital, la plupart du temps sans soutien, sans ressources. Imaginez un couple qui vit et ressent la joie d’apprendre que leur test de grossesse est positif et qui se dit soulagé après avoir complété le premier trimestre, les risques d’avortement étant donc diminués et leur rêve de plus en plus réel et atteignable.
Imaginez ce couple, à 20 semaines de grossesse, se faire dire au cours d’une échographie « votre bébé a de graves malformations; il a bien dans son cerveau un coffre à outils, mais il n’aura jamais les outils pour le remplir; vous devrez mettre fin à votre grossesse ». Ce couple se retrouve avec une décision à prendre, même si elle peut paraître évidente…
Imaginez devoir prendre la décision de mettre un terme à la grossesse, de décider que son bébé que l’on imaginait parfait, ne sera plus là. Le couple devra par la suite se présenter à l’unité de maternité et la femme devra accoucher de son bébé qu’elle a tant aimé, ce bébé qu’elle a tant désiré. Le père observe la scène dans le silence, impuissant…
Imaginez un couple qui revient de son « shower de bébé » (célébration avant l’arrivée de bébé pour les parents où l’on offre des cadeaux pour bébé). Tout est prêt, la chambre, le siège d’auto, la poussette dans l’entrée, mais, soudainement, bébé cesse de bouger. Ce couple se présente à l’unité de maternité. On fait une échographie et le visage du médecin s’assombrit. Neuf mois à porter ce bébé, à l’aimer, à rêver au jour où il serait enfin dans leurs bras. Une dernière poussée et, lorsque bébé naît, il n’y a pas de pleurs, aucun son…
Il est parfait avec ses dix doigts et ses petites lèvres. Il ou elle ressemble à sa grande sœur, son grand frère… Ce couple quitte l’hôpital le cœur et les mains vides pour retrouver une chambre de bébé si entièrement, si amoureusement bien décorée. Il ne faut pas oublier tout le côté physique comme la montée laiteuse, les lochies qui rappellent jour après jour à la femme qu’elle est bel et bien une mère mais sans son bébé….
[box type= »info » align= »aligncenter » class= » » width= » »]Selon les statistiques du ministère de la Santé et des Services sociaux, au Québec, une femme sur cinq fait une fausse couche. En 2005, on a dénombré au Canada 447 485 grossesses, dont 107 169 au Québec. La totalité des grossesses équivaut à la somme des naissances vivantes, des pertes fœtales et des avortements provoqués. Si l’on estime qu’une grossesse sur cinq avorte avant terme, cela voudrait dire qu’il y aurait environ 21 433 pertes fœtales (ce nombre comprend les fausses couches, les avortements, qu’ils soient volontaires ou thérapeutiques, ou encore les décès in utero). Ce dernier chiffre est approximatif, car il existe peu de statistiques sur les fausses couches, sur les pertes fœtales et, incidemment, sur le deuil périnatal en général.[/box]
Offrir un soutien aux parents en deuil d’un tout petit
Je travaille dans un hôpital où il y a eu 3400 accouchements l’année dernière. Malgré ces heureux moments, on retrouve de nombreux couples qui vivent une situation tout à fait différente. Nous assistons en moyenne à trois fausses couches par jour à l’urgence, environ une centaine par mois. Dans notre hôpital, l’année dernière seulement, il y aurait eu approximativement 950 couples affectés par le deuil périnatal.
Comme mentionné précédemment, il importe de souligner que ces couples retournent la plupart du temps chez eux sans soutien, sans ressources. Nous recevons d’ailleurs continuellement les mêmes commentaires à cet égard. L’année dernière, nous, Sarah Bachand, Caroline Labrie et Mélanie Robillard, trois infirmières du CSSS de Dorval, Lachine et Lasalle, avons décidé de travailler sur un projet visant à venir en aide à ces couples.
Nous avons élaboré un recueil qui rend hommage à toutes ces familles dans le deuil. Nous souhaitons qu’elles sachent que l’on pense à elles, que nous comprenons à quel point perdre son bébé est douloureux, et ce, peu importe à quel moment de la grossesse.
Témoignages de deuil périnatal : des parents mettent des mots sur leurs maux
En ce sens, chacune des semaines de la grossesse est représentée par le témoignage d’une femme ayant perdu son enfant à ce stade. Les témoignages, d’environ 450 mots chacun, résultent d’un appel que nous avons lancé dans les forums sur Internet ainsi que dans notre entourage et parmi nos collègues. Ces témoignages font bien sûr état des différents deuils qui ont été vécus, mais ils présentent également un message d’espoir en mettant en relief les différents moyens qui ont permis de transcender, dans un temps propre à chaque couple, le chagrin et la douleur associé au deuil de l’enfant à naître.
Ce recueil contient également une section traitant notamment des avortements précoces et de leurs causes, des étapes du deuil, de la différence de vécu entre l’homme et la femme, de la fratrie, du retour à la maison, des différentes façons d’envisager une prochaine grossesse, du « comment dire au revoir » à son bébé, de l’entourage, etc.On retrouve également une section sur le deuil relié à l’échec des traitements de fécondation in vitro ainsi que quelques témoignages. La dernière section de cet ouvrage est consacrée aux ressources disponibles au Québec comme, par exemple, les groupes de discussion, les livres, les forums, les blogs.
Une des beautés de ce projet réside dans le fait qu’il a débuté par une simple idée, soit celle visant à venir en aide aux familles endeuillées. Cette idée s’est transformée par la collaboration de plusieurs personnes, toutes ayant cette cause à cœur, qui ont contribué avec leurs textes ou leurs témoignages. On peut même dire que ce livre a plusieurs plumes, car les différents textes proviennent soit de nous-mêmes, soit de couples ayant vécu un deuil périnatal ou encore d’enseignantes à l’université, de gynécologues, voire même d’une fillette de sept ans. Il est, et sera, non seulement un guide et une aide précieuse pour les couples en devenir, mais encore et autant pour ceux et celles qui y ont contribué. Notre livre qui s’intitule : Au-delà des Mots, Recueil sur le deuil Périnatal a été publié pat Publications Québec janvier 2011.
Ce que nous souhaitons, c’est que ce recueil soit remis à tous les couples vivant un deuil périnatal, et ce, avant qu’ils quittent l’hôpital. Ces derniers partiront peut-être le cœur vide, mais, au moins, ils emporteront avec eux une documentation chaleureuse provenant de gens qui partagent leur souffrance, qui la comprennent et qui, à travers leurs témoignages, pourront leur offrir de petites, mais non moindres, lueurs d’espoir.
Finalement, notre rêve ultime est que ce recueil devienne comme celui qui s’intitule « Mieux vivre avec votre enfant de la grossesse à deux ans » et qu’il soit, tout comme ce dernier, distribué gratuitement par le gouvernement partout au Québec. Les familles vivant une naissance ont un livre pour les guider et nous croyons fermement que celles vivant un deuil périnatal méritent la même reconnaissance, la même considération, en possédant leur « guide-recueil ». Pour atteindre notre objectif, nous avons procédé à de nombreuses levées de fonds, ce qui nous a permis de remettre les recueils gratuitement à l’hôpital où nous travaillons afin que les couples vivant cette situation reçoivent un soutien, aient accès à des ressources et soient reconnus dans leur deuil, un deuil qui ne devrait plus être minimisé parce que méconnu.
Sarah Bachand, infirmière
Vous pouvez retrouver Sarah Bachand et Caroline Labrie ou vous procurer le recueil « Au-delà des mots : Recueil sur le deuil périnatal » directement depuis leur page facebook.
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