Après la perte d’un enfant : Être un père en deuil

Lorsqu’un enfant meurt, ses deux parents se retrouvent en deuil. Tout semble les rassembler et pourtant, le père a des réactions différentes de la mère par rapport à la perte de son enfant. Comprendre ces différences permet de lever de nombreuses incompréhensions, sources de tensions et de souffrances inutiles au sein du couple.

Une perte, deux chemins de deuil

Au delà des différences dans la manière de vivre le deuil, il existe fondamentalement un décalage entre le père et la mère, par le fait même qu’il s’agit de deux individus différents. En effet, chacun avait un lien spécifique et unique avec l’enfant disparu : par exemple, si l’enfant décède proche de la naissance, le père aura moins d’expériences « physiques », ou sensorielles, avec son bébé ; ou encore, si l’enfant était un jeune garçon, le père avait peut être, avec lui, un lien privilégié autour d’une activité sportive qu’ils pratiquaient ensemble d’ « homme à homme ». Même durant les circonstances de sa fin de vie, le père a pu jouer, auprès de lui, un rôle différent de son épouse. Il est donc normal qu’en dépit de la perte commune, les deux parents rencontrent, en eux, un vécu du deuil différent.

De plus, le deuil évoluant en « oscillations » incessantes : je vais mieux, je vais mal, je vais mieux, je vais mal… etc., il est prévisible que les deux parents ne seront presque jamais synchrones dans leur ressenti, au jour le jour : l’un peut aller bien, un jour, quand l’autre est au fond du trou. Si les deux parents ne comprennent pas que ce décalage entre eux est normal, ils risquent de s’adresser des reproches du type : « Quand j’essaie d’aller mieux aujourd’hui, tu me tires vers le bas !… » ou encore « Tu vas bien trop vite… J’ai l’impression que tu n’es pas si touché que ça par la mort de notre enfant ». Ce sont des paroles d’une extrême violence.

Les « conditionnements » du père en deuil

Le père et la mère ne sont pas sur un pied d’égalité au niveau du deuil. Le père (ou l’homme, en général, voir article le vécu de l’homme en deuil) est davantage soumis à des conditionnements culturels contraignants où la société lui impose certaines réactions et certains comportements : elle attend de lui qu’il s’y conforme… et, la plupart du temps, le père s’y conforme, effectivement !

Explorons deux attitudes caractéristiques du père en deuil :

• « Je dois être celui qui protège »

Même s’il est dévasté par le décès de son enfant, le père a spontanément tendance à se considérer comme celui qui doit protéger ceux qu’il aime : sa compagne, ses autres enfants, ses parents… Il se positionne souvent comme celui qui doit amortir le choc du décès : il prend, par exemple, les coups de téléphone et devient le référent par qui passent toutes les informations, ou bien c’est lui qui filtre les appels et les visiteurs. On attend de lui qu’il « assure », mais le prix à payer est qu’il étouffe en lui une partie de ses émotions, pour être à la hauteur : ses émotions se retrouvent alors recouvertes par les responsabilités qu’il s’impose à lui même.

• « Je dois être celui qui gère »

Le père sait qu’on attend de lui qu’il reste debout et qu’il trouve des solutions aux problèmes. Très souvent, par exemple, c’est lui qui prend en main les démarches à accomplir juste après le décès. Il se fait aussi le relais de la famille et des amis qui, souvent, « oublient » que lui aussi est frappé de plein fouet et qui lui demandent : « Comment va ton épouse ? Comment prend-elle cela ? ». Certains proches ne pensent même pas à prendre de ses nouvelles, à lui ! D’ailleurs, il n’est pas rare que des pères soient peu pris en compte – voire complètement ignorés – dans le monde hospitalier, s’il ne revendique rien pour lui même : il reçoit peu de sollicitations sur son ressenti et une grande partie de l’attention est focalisée sur la mère.

Le père a tendance à accepter cette attitude, sans trop y réfléchir, et, sans même en prendre vraiment conscience, il devient celui qui va tenter de prendre en charge le deuil des autres membres de la famille, afin de le rendre plus « gérable » ou plus « facile »… Cette attitude peut malheureusement le conduire à être un peu trop intellectuel, trop pragmatique ou encore trop « rationnel » dans son approche. Certains pères considèrent que le deuil est un « problème » qu’il faut gérer comme ils gèrent habituellement tous les problèmes : il y a un problème, il faut donc rapidement trouver une solution !… Sauf que le deuil n’est pas un problème à résoudre… Ce n’est pas un dossier qu’on peut classer aussi facilement.

En fait, ce que ces attitudes révèlent véritablement, c’est la détresse dans laquelle se trouve le père : il est face à son impuissance à aider ceux qu’ils aiment ; il se sent, lui même, face à sa propre impuissance et il tente de préserver un semblant de contrôle de la situation, en se lançant dans l’action. C’est sa manière d’exister, face à la souffrance; c’est une façon de retrouver un rôle, une place et une fonction, alors que tout s’effondre autour de lui. Il s’agit, en fait, d’une protection psychologique qu’il tente d’ériger pour ne pas s’écrouler à son tour. Son épouse et ceux qui l’entourent doivent le comprendre et respecter cette attitude.

La retenue des émotions suite à la perte de son enfant

Tous ces comportements d’action et de contrôle ne sont pas sans conséquence. Là encore, le père est conforme aux attentes de la société : il se doit d’avoir la maîtrise de ses émotions, car « être emporté par ses sentiments » peut être vécu, par l’homme, comme un aveu de fragilité ou de vulnérabilité. Il doit donc tout faire pour retenir et masquer ses émotions. Certains pères vivent même dans la hantise de « craquer » en public, tant ils redoutent que les autres portent un jugement négatif sur eux, sans si ce n’est pas le cas.  Le père est donc sous une double contrainte : d’un côté, celle de faire « bonne figure », en étouffant, dans son cœur, sa tristesse, son anxiété, sa culpabilité, son sentiment de vide ou d’absurdité et de l’autre, la nécessité viscérale d’exprimer toutes les émotions de son deuil, car c’est à cette seule condition qu’il pourra avancer dans son travail de deuil.

Parfois, il ne s’autorise que les émotions « acceptables » pour un homme, comme la colère ou l’agressivité ; mais cela se fait aux dépens de toutes les autres (la tristesse, le désespoir, la perte de repères…), d’autant plus que son éducation lui interdit de les exprimer. Il risque même d’être très embarrassé, ou très mal à l’aise, si on le pousse dans ses retranchements pour qu’ils les verbalisent. C’est aussi quelque chose que son épouse doit comprendre : elle croit aider son compagnon, en le faisant parler, alors que parfois, elle le plonge dans la confusion, sans même s’en rendre compte. Il ne faut pas forcer un homme à parler. Ce n’est pas comme ça qu’un homme fonctionne. En revanche, il faut aussitôt lui ouvrir son cœur, s’il commence à se confier.

Les réactions des pères en deuil

On comprend mieux, dès lors, les réactions du père, en contraste avec celles de la mère : il va avoir plus tendance à cacher ses émotions et va donc avoir plus de difficultés à demander explicitement de l’aide ou de l’affection. Par exemple, il va moins rechercher une aide associative ou professionnelle psy, alors que son épouse s’y donnera plus facilement accès.Il va être davantage dans l’agir que dans la parole et va tenter de revenir, au plus vite, à un fonctionnement « normal ». Il y est d’ailleurs souvent aidé par le fait d’avoir une activité professionnelle qui le contraint à se focaliser sur autre chose que sur sa peine.

Le père vit son deuil de façon plus secrète, silencieuse et intérieure. Cela n’a rien d’anormal, c’est juste sa manière de trouver un compromis entre ses besoins et les exigences qu’il s’impose à lui même… A l’extrême, comme certains pères ont a plus tendance à masquer leurs émotions, ils vont avoir tendance à davantage négliger sa santé. Il peut également plus facilement chercher à anesthésier leur douleur dans l’alcool ou dans une surcharge d’activités qui les empêchent de penser… Il est clair que ces attitudes (même si elles sont assez rares) vont à l’encontre d’un déroulement harmonieux de leur deuil.

Les difficultés de communication avec son épouse

Ces différentes façons de réagir à la perte de l’enfant peuvent générer des difficultés de communication au sein du couple. La mère trouve son mari insensible et muré dans son silence, alors que le père a l’impression que son épouse ressasse sans cesse les mêmes choses. Il faut comprendre que cette incompréhension mutuelle dans la façon d’exprimer le vécu du deuil est fondée sur une manière différente de gérer les émotions, chez l’homme et chez la femme.

• La femme, en effet, a plus tendance, que l’homme, à parler de ce qu’elle ressent, mais sans avoir nécessairement besoin de trouver des solutions : pour elle, le simple fait d’exprimer ce qu’elle ressent l’apaise ; l’expression de l’émotion, ou du mal être, se suffit à elle même.

• C’est différent pour l’homme : dès qu’on lui expose un problème, il se met aussitôt à la recherche d’une solution. L’homme trouve son apaisement dans la recherche de solutions. Pour lui, le fait d’exprimer un ressenti n’est qu’une étape, cela doit déboucher sur un acte concret. Il a l’impression que parler – rien que pour le fait de parler – ne sert à rien. Donc, dés que son épouse lui fait part de sa détresse, il se sent, en quelque sorte, « obligé » d’apporter une solution à sa souffrance. Malheureusement, ce n’est pas ce qu’elle lui demande ;  la plupart du temps, elle attend simplement d’être écouté. En fait, l’homme devrait comprendre que la « solution » qu’il recherche réside dans le fait même d’être attentif à son épouse, sans qu’il se sente obligé de faire quoi que ce soit !

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Comment surmonter la perte d’un enfant ?

Le père a, tout d’abord, besoin de comprendre la réalité du processus de deuil dans lequel l’engage le décès de son enfant. Il trouvera toutes les ressources nécessaires sur le site de « Traverser le deuil », dans la rubrique « comprendre » et dans les programmes d’accompagnement du deuil. Vous trouverez également sur le forum, une rubrique dédiée à la perte d’un enfant, où des parents ayant vécu la même épreuve que vous, peuvent vous soutenir et vous aider à partager votre histoire : Forum deuil d’un enfant

Si vous êtes un père en deuil, il est indispensable que vous vous donniez les moyens d’exprimer ce que vous ressentez, d’une manière ou d’une autre. Faîtes comprendre à votre épouse que le fait de parler n’est pas la seule façon, mais trouvez une façon qui vous convient le mieux, afin de vider le trop plein de vos émotions. Retenir tout en vous est vain et cela peut même avoir des effets négatifs sur votre santé et vos facultés intellectuelles. Beaucoup de pères décident d’écrire sur leur enfant : certains ont un cahier qu’ils emportent toujours avec eux et ils griffonnent deux ou trois souvenirs, quand l’envie leur en vient ; d’autres ouvrent un dossier sur leur ordinateur et écrivent tout ce qu’ils ont sur le cœur. D’autres encore n’ont pas besoin de support et sortent marcher, en solitaire, pendant des heures, en allant ou non, au cimetière : ils ont besoin de ces longues plages de silence pour penser, encore et encore, à leur enfant. C’est souvent dans ces temps solitaires qu’ils s’autorisent à pleurer. Et c’est très bien ainsi…

Faire des activités (sport, rencontres associatives, musique ou autres) avec d’autres hommes peut aussi être bénéfique pour vous, même si le décès de votre enfant n’est pas explicitement mentionné à chaque fois entre vous : il y a, dans la fraternité pudique des hommes, quelque chose qui pourra vous faire du bien et qui vous permettra d’avancer, même si rien n’est dit ouvertement. Néanmoins, si vous avez quelqu’un auprès de vous avec qui parler (un bon copain ou un collègue attentif ; ce n’est donc pas nécessairement votre épouse !), vous en éprouverez un énorme soulagement. Il faut comprendre qu’une écoute extérieure à votre couple n’est pas un constat d’échec. Quand les deux parents sont en deuil, ils peuvent avoir beaucoup de mal à vraiment s’écouter et à correctement prendre soin l’un de l’autre. Ceci est normal et ça ne dit pas que votre relation va mal !

Certaines associations de parents en deuil proposent également des groupes d’entraide de parents en deuil (voir dans la rubrique « Questions-réponses » : qu’est-ce qu’un groupe de parole ? ou la rubrique entraide de parents en deuil du forum) . Très souvent, les hommes y viennent « pour accompagner leur épouses », et ils y restent parce que cela leur fait beaucoup de bien, à eux ! Dans de tels groupes, vous pouvez entendre l’expérience d’autres pères et d’autres couples et vous rendre compte que ce que vous vivez est le lot de beaucoup de parents : cela peut être très rassurant. De plus, dans un groupe, vous pouvez plus facilement parler, car vous avez moins besoin de protéger votre épouse : le groupe, en effet, assure déjà cette fonction de protection. Cela peut libérer votre parole…

Si votre peine est si intense que vous n’arrivez plus à avancer dans votre vie – et si, de plus, vous avez des idées suicidaires, n’hésitez pas à consulter un professionnel psy qui connaît bien le processus de deuil. Il n’y a pas de honte à avoir : cela ne remet pas en question votre force de caractère et cela ne dit pas que vous êtes devenu quelqu’un de fragile. Voir quelqu’un peut être d’une aide inestimable pour vous, même si vous n’êtes pas familier avec cette façon d’être aidé.

Enfin, vous avez besoin, avec votre épouse, de comprendre que vous êtes engagé sur des chemins de deuil similaires, mais qui ne sont pas identiques : vous devez apprendre à vous respecter dans vos besoins individuels et dans vos manières spécifiques de vivre votre peine, sans imposer votre façon de voir, ni à l’un, ni à l’autre… Un prochain dossier sera consacré d’ailleurs prochainement à l’impact du décès d’un enfant au niveau du couple.

Extrait du site traverserledeuil.com

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Les recherches qui ont mené à cet article : « https://deuil comemo org/perte-d-un-enfant-pere-deuil, https://deuil comemo org/perte-d-un-enfant-pere-deuil#:~:text=La retenue des émotions suite à la perte de son enfant&text=Il doit donc tout faire nest pas le cas ».
View Comments (5)
  • Bonjour

    Je suis une maman qui a perdu son enfant… Vous parlez des réactions du père. Pour moi, ce fut l’inverse… Mon mari n’a jamais accepté son départ et a toujours voulu que je sois celle qui l’aide, le soutienne allant jusqu’à me dire que je n’avais aucune peine (cela l’arrangeait tellement de le penser).
    J’ai été « la forte » jusqu’au jour où je n’ai plus pu… Et là il ‘ma fait comprendre que nous n’avions plus rien à faire ensemble.
    C’est la vie !

    • Bonjour
      Je suis un père qui a perdu ses 2 enfants le même jour. Cela fait onze ans maintenant mais avec le temps, ais je bien fait mon deuil ? Je ne le sait pas ! Tout ce que je sais, c’est que j’ai perdu ma compagne car je pense, perdu ma tendresse, ma tolérance. Pourtant mon amie est super. Sauf que l’on a jamais parlé de mes enfants, du moins JE n’en ai pas beaucoup parlé.

    • Bonjour,

      Je vis actuellement la même situation que vous…. j’étais forte jusqu’à maintenant et aujourd’hui il souhaite mettre un terme à notre relation.

      Est-il revenu vers vous ? Avez vous compris sa réaction ? Quelle méthode avez-vous utiliser pour mettre un terme après cet accouchement ?

  • Bonjour,
    Je suis une maman qui a perdu ses deux bébés peu après leur arrivée dans le monde, il y a tout juste un mois. Ma tristesse est infinie. Mais, je suis beaucoup plus inquiète pour mon époux qui ne sait plus où il en est : il passe d’un état de mutisme total à un état de colère violente (il casse des objets dans la maison et se met à proférer des insultes…). Je viens de lire l’article « Etre un père en deuil » pour tenter de comprendre et de l’aider. Cet article me semble bien réaliste. Depuis hier, c’est moi qui suis muette car j’ai l’impression de provoquer sa colère à chaque fois que j’ouvre la bouche ou même simplement en le regardant. Alors, j’ai décidé de me taire totalement. En fait, à la suite de cette lecture, je pense que je ne vais pas rester totalement muette mais le laisser vivre sa peine comme il l’entend. Je vivrais la mienne de mon côté : chaque jour je verse toutes les larmes de mon coeur, les flashback de cette terrible épreuve me tenaille nuit et jour (mon incapacité à lui donner les enfants qu’il espérait tant avoir avec moi et qu’il n’aura jamais…).

  • Bonjour,
    Ma fille avait 2 ans et 4 mois. Elle est décédée il y a 3 semaines en réanimation suite à une crise de convulsions fébriles si forte qu’elle a eu des séquelles irréversibles dans son cerveau intérieur. Nous sommes restés 24 jours à son chevet ma femme et moi sans jamais la quitter. Elle est finalement décédée dans nos bras, entre nous deux, dans le lit d’hôpital. Aveugle suite à la crise, elle a beaucoup souffert durant ces trois semaines et demi. Son cerveau meurtri lui causait des douleurs atroces durant ses périodes d’éveil, et elle ne pouvait même pas nous voir…
    Finalement je l’ai perdu 8 heures avant l’heure précise où j’ai perdu ma mère il y a 19 ans, victime elle d’une rupture d’anévrisme. Bien que je ne sois pas du genre a cacher mes émotions (je suis sud-américain), je n’arrive pas à me confier ou à m’ouvrir à mes proches ou même à des professionnels. Bien que totalement illogique, je me sens coupable de ne pas avoir pu sauver ma fille. La frustration et l’impuissance sont telles que depuis ce jour je souffre physiquement de sa perte. Maux de tête, nœud à l’estomac, élancements douloureux à la poitrine… je ne me pardonne pas. Et pourtant je « sais » que je ne pouvais rien faire. J’ai vu des médecins et je n’ai ni problèmes de pression artérielle, ni problèmes cardiaques. C’est l’angoisse.
    Ma femme ne cesse de me reprocher le fait de ne pas partager avec elle, de ne pas parler de notre fille ou encore de ne pas regarder ses photos. Je n’y arrive pas, je peux à peine respirer quand je vois mon bébé figé sur une image. Elle était toute ma vie, et il n’est pas un instant où je ne sente pas son absence. Je n’arrive à pleurer que lorsque je suis seul. Mais là encore ma femme me reproche de « la laisser seule », et du coup je ne peux pas soulager ma peine. C’est dans le métro, face aux usagers que je pleure en silence, le matin et le soir.

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