Le vécu de l’homme en deuil

C’est un constat qui se vérifie à chaque AB04769 fois : quel que soit le type de perte qui afflige un homme, un père, un conjoint, un fils, l’aide et le soutien qu’il recevra d’autrui seront différents que ceux qu’on offre à une femme, une mère, une épouse, une sœur – et ceci dès les tous premiers instants qui font suite au décès. L’attention différente que la société accorde à l’homme en deuil va fortement déterminer ses réactions émotionnelles.

L’homme en deuil n’est pas particulièrement « bloqué » ou « inhibé » dans la libre expression de sa peine – comme le pensent trop souvent les femmes, mères ou épouses qui l’entourent (et qui font pression sur lui « pour qu’il parle ») : il est simplement sous l’emprise de puissants conditionnements culturels et psychologiques qui parfois lui interdissent d’exprimer ce qu’il ressent : d’une manière très inconsciente, il est donc contraint de trouver d’autres moyens « culturellement corrects » pour évacuer sa peine, sans mettre en danger son identité masculine.

Les attentes de notre société envers un homme en deuil

En effet, qu’attend-on de l’homme dans notre société ? Certaines attentes semblent démodées mais elles ne restent pas moins très fortement inscrites dans notre culture occidentale.

L’homme doit :

–       être en contrôle des situations
–       être davantage dans le mental que dans l’émotionnel
–       être rationnel et analytique
–       être sûr de lui et affirmé
–       être courageux
–       être efficace
–       être capable de supporter la peine sans broncher
–       être capable d’endurer n’importe quel stress
–       être celui qui prend en charge les autres

En revanche, dans notre société, l’homme ne doit pas :

–       perdre le contrôle, même dans les situations les plus pénibles ou stressantes
–       pleurer ouvertement devant autrui
–       avoir peur
–       être dépendant de l’aide et de l’attention d’autrui
–       être en insécurité, avoir peur
–       exprimer sa solitude, sa vulnérabilité, sa tristesse
–       être pris dans les bras par d’autres hommes pour le consoler
–       être indécis quand il faut prendre des décisions importantes

On voit que ces attentes implicites et explicites vis-à-vis de l’homme rendent souvent difficiles ou plus lourdes le déroulé harmonieux de son deuil. En effet, on attend de lui 1. qu’il prenne matériellement et « logistiquement » les autres en charge (épouse, enfants, proches) 2. qu’il les prenne en charge émotionnellement, en laissant de côté ses propres émotions 3. qu’il soit « à la hauteur » de l’épreuve, comme si son identité d’homme était en jeu.

Que reste-t-il alors à l’homme en deuil ? Comment parvient-ils à « métaboliser » sa peine dans l’étroit champ d’expression que la société lui accorde ? C’est ce que nous allons voir maintenant…

Rester silencieux face à la perte d’un être cher

La grande majorité des hommes touchés par le décès d’un proche réagissent en taisant leurs pensées et leurs émotions. Ils donnent l’impression de ne pas avoir besoin d’exprimer et de partager ce qu’ils ressentent. Ce n’est bien sûr pas le cas mais ils sont souvent perçus par leur entourage comme « insensibles », « arides » émotionnellement, ou même « handicapés » au niveau affectif ! Ces reproches qu’on leur adresse pour les faire réagir les blessent en silence et ne font qu’accentuer leur réticence à s’exprimer.

De fait, même s’il a lui même perdu quelqu’un qu’il aime, on posera très souvent à un homme des questions du type :

–       « Comment se sent ton épouse (ta mère… ta sœur… tes enfants…) ? » : on oublie fréquemment de lui demander comment lui il va !!!

–       « Comment s’en sort ta femme ? » : sous entendu : « tu n’as pas d’autre choix que de t’en sortir pour la soutenir, si elle ne va pas bien ! »

–       « Comment la famille accuse le coup ? » : sous entendu : « C’est ta responsabilité de contenir ta famille émotionnellement. Il faut que tu « assures » et que tu fasses passer tes propres émotions en second plan ! »

–       … etc.

Rien de tout cela n’encourage l’expression des ressentis intimes, mais ils n’en restent pas moins vivaces et intenses à l’intérieur…

Vivre le deuil en secret ou de façon solitaire

La plupart des hommes trouvent plus facile de vivre seuls le deuil. D’ailleurs, on constate que les hommes se rendent plus fréquemment sur la tombe que les femmes – et souvent en secret, sans en parler à autrui, pas même à leur épouse. Le cimetière est, pour beaucoup, un lieu de recueillement, de réflexion, de larmes, de partage intime avec la personne disparue. C’est souvent là, dans cette présence solitaire, que se déroule le deuil au niveau émotionnel.

De même, un homme peut passer beaucoup de temps sur son ordinateur, soit pour écrire sur un « journal de deuil » qu’il gardera secret, soit pour regarder des photos ou surfer sur des sites qui sont en relation avec la personne disparue…

Exprimer le deuil dans l’action

De façon générale, la femme s’exprime par des mots et par le partage des émotions, alors que l’homme s’exprime par des actes. Il peut par exemple avoir besoin d’une activité physique intense pour canaliser sa douleur (aller courir, faire intensément du sport, se lancer dans de grands et épuisants travaux… etc.).

Il peut également vouloir passer à l’action au niveau légal, si la situation le demande : un procès contre un service hospitalier, un accident qui implique la responsabilité d’un tiers, une action pour améliorer une signalisation routière (ex : faire pression pour qu’un feu rouge soit installé là où son enfant a été renversé…)… etc.

L’action aide l’homme à se sortir de la situation d’impuissance dans laquelle le précipite sa peine. Elle lui est parfois indispensable. Ce serait une erreur de n’y voir qu’une fuite : ce n’est évidemment pas le cas.

S’immerger dans l’activité professionnelle

Il en va de même de l’activité professionnelle dans laquelle un homme peut s’engouffrer. Il est faux de croire que cela l’empêche de « faire son deuil ». C’est une stratégie comme une autre pour faire face à la douleur. L’activité professionnelle intense aide à structurer la pensée, à se réancrer dans le quotidien connu et sécurisé du monde professionnel, en contraste avec le climat du souffrance du domicile. La douleur n’est donc pas étouffée (c’est de toutes façons impossible !) ; elle est simplement « contenue », même si, extérieurement, elle semble refoulée. Ce n’est pas le cas : le processus s’opère inexorablement dans les profondeurs de l’inconscient.

Réprimer l’expression de la peur, de l’insécurité, de la tristesse

L’homme en deuil peut avoir peur de l’intensité de ses émotions. Il peut donc tenter de les court-circuiter, ou de les éviter, ou de les anesthésier… C’est le danger d’avoir tant de contraintes exercées sur leur expression. On retrouve chez certains hommes en deuil de nombreux moyens d’anesthésier la peine : l’alcool consommé de façon excessive, les prises de risque inutiles (conduire trop vite, pratiquer des sports trop extrêmes…), une activité sexuelle trop « débridée »… etc.

Face à de telles situations, il est légitime que les proches s’opposent à ces stratégies d’auto destruction. Même s’ils rencontrent une forte opposition, il est nécessaire d’amener l’homme en deuil en contact avec sa peine, sa peur, son insécurité ou sa tristesse qu’il essaie coûte que coûte d’éviter. Quand il est trop extrême dans le refus de ces émotions, il doit y être ramener, avec patience et douceur – et surtout sans jugement… S’il sent qu’il peut être en sécurité et non jugé, l’homme en deuil qui ne parvenait pas à rencontrer sa peine pourra s’y abandonner. Il découvrira que c’est ainsi qu’il devient plus fort. Paradoxalement…

L’homme en deuil, cette « brute épaisse !!!! », est un écheveau de contradictions : il a besoin d’être respecté et accompagné là où il est, avec une infinie tendresse !

Accompagner un homme en deuil…

Ainsi, vous qui lisez ces lignes, si vous êtes une femme et que vous souffrez du silence de votre compagnon… père… frère… ami en deuil, comprenez ce qui se cache derrière.

Cet homme que vous tentez d’accompagner dans sa peine le fait avec les moyens psychologiques et culturels dont il dispose. Il est très profondément conditionné depuis l’enfance à se comporter d’une certaine manière et il est impossible de lui demander d’être radicalement différent aujourd’hui ou de changer d’attitude en quelques jours. Cela ne veut pas dire que cet homme que vous accompagnez ne peut pas changer progressivement (vous pouvez d’ailleurs lui faire lire cet article pour l’aider à mieux se comprendre !), mais il est capital que vous ne lui mettiez pas trop la pression pour qu’il parle ou pour qu’il vous exprime ses émotions, même si vous êtes intimement persuadée que cela lui fera du bien.

Invitez le à le faire mais, s’il vous plaît, laissez le tranquille s’il ne veut pas – ou s’il ne peut pas. Cela ne signifie pas que son chemin de deuil ne se fait pas intérieurement. Il ne le fait pas comme vous : il le fait à sa manière ! Votre insistance peut le mettre très mal à l’aise et il risque d’être encore plus dans le retrait et le silence car il vit votre insistance comme une intrusion dans son intimité et presque une agression dont il a besoin de se protéger !

Bien sûr, vous pouvez vous sentir très seule face à ce mur de silence, mais cette attitude n’est pas contre vous ; il ne vous abandonne pas : il tente, avec les moyens qui sont les siens (et ils sont plus restreints que les vôtres !!!) de faire face.

Sachez le : l’homme en deuil est fragile. L’homme en deuil est vulnérable. Mais il lui est culturellement et psychologiquement difficile de le montrer et de l’admettre.

Sachez qu’il est parfois encore plus fragilisant et vulnérabilisant pour lui d’être mis au pied du mur et d’être contraint d’exprimer ce qu’il ne parvient pas à exprimer. Ne le poussez pas au delà de ses limites. Respectez les et sollicitez ailleurs de l’aide et du soutien si votre compagnon… père … frère… ami ne parvient pas à vous les donner. Et surtout, ne lui en voulez pas…

Il faut faire confiance au processus de deuil qui est universel : même dans le silence, il parviendra toujours à se déployer pour, à terme, maintenant ou plus tard, restaurer la paix du cœur.

extrait de traverserledeuil.com

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  • Lorsque j’ai perdu Nicolas mon fils de 17 ans, mon mari ne me semblait pas affecté, il paraissait ne rien ressentir, vaquant à ses occupations comme si rien n’était. Je me souviens qu’une semaine après il accompagnait mon jeune fils à un tournoi de foot et je l’ai surpris en train de rire avec des gens. Je lui avais fait une scène terrible lui reprochant son attitude Comment pouvait-il rire alors que Nicolas n’était plus là, moi qui était si accablée, qui ne mangeais plus et ne voulais plus me lever, moi qui ne pensais qu’à mon fils, qui voulais le rejoindre, je lui faisais continuellement des reproches genre : cela ne te fait rien que Nicolas ne soit plus là, tu ne souffres pas ! Parce qu’il ne parlait jamais alors que moi je courrais dans tous les sens pour trouver quelqu’un avec qui parler tant je me sentais seule.

    Et puis quelques mois après il est tombé en dépression avec arrêt de travail, il m’a dit je me rends compte seulement maintenant que Nicolas n’est plus là et il a pleuré . Je me faisais du souci pour sa santé, il disait qu’il voulait encore vivre pour voir grandir le frère de Nicolas et puis le chagrin ne l’a plus quitté il est très vite parti me laissant encore plus seule.

    Longtemps, très longtemps après par mes lectures j’ai compris que les papas souffraient tout autant que les mamans mais qu’ils ne savaient pas exprimer leurs émotions, qu’ils se réfugiaient dans le silence.

    Une immense culpabilité m’envahit encore à l’égard de mon mari parti si vite après Nicolas sans que je puisse lui demander pardon pour mes mots si durs.

    J’espère qu’il voit son second fils grandir, il peut être fier de lui, j’espère que Nicolas est avec son papa et qu’ils nous aident à vivre, je pense tous les jours à eux, je ne suis plus sur terre ou si peu.

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