Personne ne me force à rêver

Chacun de nous espère rêver de la personne qu’il ou elle aimait, pour tenir à distance le chagrin de son absence. Je rappelais dans le dernier article sur les rêves que les morts ne peuvent pas être considérés seulement comme les gens qu’ils étaient de leur vivant, sous peine d’être retenus artificiellement dans leur ancienne forme. Tout évolue, et les morts ne sont plus dans le même temps et le même espace que les vivants. Cela n’implique pas qu’il n’y ait plus rien entre nous, mais plutôt, comme le dit un participant du forum, que les réalités sont intriquées de façon complexe.

Les rêves sont, de ce point de vue, la voie royale pour poursuivre une relation qui n’est pas soumise aux lois ordinaires. Je dis bien poursuivre, car il faut là aussi renoncer à une idée simpliste, celle que la mort annulerait le passé et ferait des défunts des sages ou des saints. J’ai reçu de plusieurs personnes des questions sur les rêves dans lesquels une personne défunte leur apparaissait mécontente ou indifférente : la relation continue après la mort, et si elle était insatisfaisante, il faut continuer à la prendre en compte pour la faire évoluer. Je conseille dans ce cas de figure d’aller voir avec un tiers ( thérapeute) ce qui reste si douloureux dans cet espace relationnel, car le risque si on essaie de le comprendre seul, est de rester embourbé précisément à l’endroit qui blesse.

Comme disait le philosophe Vladimir Jankelevitch «  les morts dépendent entièrement de notre fidélité ». La prendre en compte, cela veut dire précisément de faire les comptes et le bilan de ce qui se passait avec cette personne, de se dire et de lui dire la vérité sur ce qui a eu lieu, et sur ce qui a manqué. La mort doit aller de pair avec la vérité et une capacité croissante à rendre ses sentiments objectifs : qui et comment a- t- on aimé, ou pas, et pourquoi, sur quels fondements ? . De nombreux témoignages montrent aussi que des morts peuvent apparaître de façon très apaisante à ceux qui les ont aimés, en les soutenant de leur joie et de leur tranquillité. Cela change tout de savoir que le défunt « va bien « ! même si l’impatience à le retrouver peut parfois se manifester.

Quand vous rêvez le temps et l’espace n’ont plus de limite, votre esprit s’en affranchit. Vos idées sur ce qu’est le vivant et le mort sont aussi moins rigides, et vous êtes plus ouverts à des expériences de conscience différentes. Cela ne veut pas dire que vous partez en voyage au paradis pour visiter vos morts en attendant de les rejoindre ! plutôt que vous pouvez plus facilement évoluer dans la réalité complexe qui est à notre portée et demande notre engagement pour devenir sensible. Les morts, comme les étoiles, sont toujours là mais quand il fait jour on ne les voit pas. La conscience du quotidien, basée sur les choses visibles, tangibles, raisonnables et vérifiables, empêche de se relier à ce qui, comme les étoiles, est sous-jacent, discret mais présent.

Personne ne rêve de force. Nous pouvons être empêchés de rêver, si nous sommes réveillés au moment où le rêve apparaît, mais on ne peut forcer un rêve à apparaître, comme on ne peut forcer un enfant à venir s’incarner. C’est un choix intime, qui peut être empêché par la contrainte, mais pas « fabriqué » sous la contrainte. Quand nous rêvons, c’est une expérience intime et infalsifiable, dans laquelle nous créons tout, éléments du décor, du temps, des personnages, des évènements ; notre choix se fait non pas par pur plaisir (sinon il n’y aurait pas de cauchemar) mais en fonction de ce que nous pouvons apprendre et éclairer pendant les voyages de notre conscience.

La nuit, notre mental ne gouverne plus notre pensée, il laisse les commandes à l’âme, qui est toujours orientée par la question du sens. Le mental se croie seul (comme un roi soleil arrogant !) , mais l’âme évolue dans l’espace multidimensionnel des liens. Elle prend appui sur les informations que notre mémoire recèle, les questions que notre cœur se pose, et y donne des éléments de réponse qui nous ouvrent au contact d’autres dimensions.

Je rappelle que cette notion d’âme, si le mot vous gêne, peut être remplacée par « conscience intime de soi », qui me semble équivalente, et sans connotation religieuse extérieure. Cette conscience intime c’est votre identité profonde, ce qui est là depuis le début et sera là jusqu’à la fin. Si vous rêvez de vos morts, et qu’au réveil vous êtes rattrapés par le mental qui vous suggère aussitôt avec insistance de refouler votre rêve aux oubliettes, si vous n’osez pas partager votre rêve avec vos proches de peur qu’ils vous fassent douter de ce que vous avez ressenti, soyez audacieux ! donnez du crédit à ce qui vous est arrivé, car personne d’autre que vous n’a le pouvoir de susciter ces images, ces sensations parfois si troublantes de réalité, ces enseignements si clairs, et les renier ce serait vous discréditer vous même. Le rêve est une porte ouverte sur un espace plus vaste de la conscience, à charge pour vous d’en faire quelque chose dans votre vie éveillée.

Si chacun est libre de forger sa propre opinion par rapport à un dogme religieux ou autre ( la science peut en être un aussi ), il faut au moins reconnaître aux êtres humains la capacité et la responsabilité de rester auteurs de leurs rêves, et d’en tirer les enseignements qui leur appartiennent de droit. Toute interprétation ou rejet du rêve de la part d’une autre personne qui n’est pas en lien d’ouverture et de bienveillance avec vous s’apparente à un abus.

Par ailleurs souvenons nous que chez certains peuples, le récit des rêves a souvent servi de guide. Pour les aborigènes australiens et pour les indiens d’Amérique du nord, partager les rêves étaient un enseignement pour tous. Pourquoi ne pas s’intéresser à cette ouverture plutôt que s’en priver ? Dans les années 30 en Allemagne une femme, Charlotte Beradt, réunit les rêves qu’elle et son entourage avaient. A posteriori chacun peut voir combien ces rêves témoignent de l’intuition de ce qui allait déferler sur le monde avec le nazisme : l’âme sait avant que le mental ne saisisse.

Merci de votre attention, faites de beaux rêves !

Carole

> A lire aussi : Les rêves durant le deuil (1ère partie)

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  • Bonjour,

    En tant psychogénéalogiste et praticien en rêve éveillé libre, j’ai lu avec intérêt vos textes et vous en remercie. Je suis moi-même endeuillée suite au décès de mon fils ainé issu d’une fratrie de trois.

    Je tiens à vous faire partager que le rêve éveillé libre est un outil thérapeutique qui permet de dissoudre les séquelles de souffrances diverses. Les rêves peuvent nous montrer comment s’inscrit l’insupportabilité de la mort. Comment la mort agit en nous ? Comment elle peut s’exprimer ? Comment certains morts peuvent rester clivés en nous. En cas de deuil, les parties mortes en nous qui envahissent la psyché. Comment un deuil non fait peut nous priver de vivre dans notre corps ?

    La cure de rêve éveillé libre va alors permettre de renforcer le sentiment d’identité, rétablir l’estime de soi, éliminer la souffrance des états dépressifs, agir sur les symptomatiques corporelles, rétablir les déséquilibres fondamentaux, amener à une plus grande vitalité que l’on a perdu, et trouver un apaisement.

    Bien à vous
    Françoise AUBIN

  • Toujours un grand intérêt à lire vos messages..Vivre sans mon enfant unique est une aventure de souffrance.de chagrin de peine.Pour moi sa Maman elle est unique au monde et « pourtant »….Accepter mon quotidien sans lui est la chose la plus difficile..Seul l’intense amour pour lui rempli de sens me donne la force et le courage…J’aime me plonger dans vos lectures..Bien à vous..La Maman de Arnaud….

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